Me suis assis à une terrasse pour boire un verre tout à l'heure. Seul. Enfin presque, j'avais un livre. Je m'octroie du temps chez moi pour lire, en fin de soirée généralement. Et puis aussi pendant que je déjeune en pause au boulot. Mais quand je suis off, c'est rare que je sois seul à une terrasse avec un livre.
Me suis calé dans la chaise inconfortable, la serveuse piercée sous la lèvre a pris ma commande et j'ai ouvert le bouquin tranché par le marque-page. Pour le reposer très vite parce que la rue et la scène m'ont happé.
Des images, des bribes de conversations qui traversaient l'espace furtivement. Une démarche, un regard échappé ou une attitude.
Le troquet est sous les arcades de l'aqueduc des Arceaux en plein centre de Montpellier. L'aqueduc n'a pas le lustre antique et la prestance romaine de son voisin gardois mais il offre une perspective aérienne dorée que rehausse les grands platanes qui le bordent sur tous son tracé urbain.
Le patron du bistrot est sous tension, son corps rentré s'enfonce dans ses épaules et il parle sans reprendre son souffle à la serveuse gothique en maintenant son visage à l'intérieur de son cercle d'intimité. Elle est gênée mais elle ne dit rien. Elle acquiesce à la tirade fumeuse de son employeur qui lui explique à renfort de répétitions lourdes et puantes combien elle est une fille à problème et elle acquiesce en abondant dans le sens de celui qui a droit de vie sur elle du haut de son pouvoir nourricier.
Au bout de l'aqueduc la dernière arche se pose sur les jardins de Peyrou, son mince canal central n'abreuvant plus le bassin qui jouxte le kiosque restauré cet été. Sans muse, le beau monument brille de toute sa pierre ravalée en m'évoquant le temps qui passe. Des musiciens ampoulés pleins de fraise rêche autour du cou et engoncés dans des tenues soyeuses y ont joué naguère, sous les hennissements des chevaux attelés aux calèches parquées dans les contre-allées.
Un homme titube en sortant du bar pour se poser malhabilement sur la terrasse, le journal du jour sous le bras. Il a sur les joues un réseau de fines veinules qui rougit sa peau flasque et distendue.
Le vent froid descend le long des troncs et fait voler les feuilles mortes qui s'entassent déjà dans les coins disponibles.
Et toujours en moi la balance d'un monde indicible de beauté, auxquels nous sommes capables d'apporter l'écot d'un savoir-faire proche du génie, et toute la vilénie dégradante de ce à quoi nous pouvons être réduits quand nous nous oublions...
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